Radio Russie Libre apparaît publiquement le 15 mars 1951 lorsqu’une dépêche de l’agence Reuters révèle qu’un émetteur clandestin, jusque-là inconnu, vient de diffuser pour la première fois un programme en russe et en ukrainien appelant « à la révolte contre la tyrannie bolchevique en URSS ». Le signal, fortement brouillé et parfois entièrement recouvert par un son continu extrêmement violent, laisse immédiatement deviner l’ampleur de l’effort soviétique pour neutraliser cette voix dissidente.
L’appel se réclame d’un « comité révolutionnaire russe » et enjoint les auditeurs à tracer sur les murs de maisons, d’usines, d’écoles et de kolkhozes les lettres NTS, interprétées dans la dépêche comme signifiant « Mort aux tyrans », renvoyant à la Natsionalnoy Trudovoy Soyuz (Union nationale des travailleurs), plus connue sous le sigle NTS.
Un appel à un gouvernement démocratique en Russie
Au cours des semaines suivantes, plusieurs stations d’écoute occidentales confirment la réapparition du poste. Le 9 avril 1951, à l’aube, la radio est captée à Londres. Cette fois, l’appel est lancé par « l’Union de solidarité nationale du travail » et appelle à une « révolution nationale pour sauver la Russie et ramener sa liberté ». Le texte promet qu’un nouveau régime instaurerait une forme de collaboration orientée vers le bien commun et, une fois établi un véritable gouvernement démocratique, mettrait fin à « l’exploitation des travailleurs par l’État ».
Le rôle stratégique du NTS
La radio apparaît rapidement comme une émanation ou un instrument du NTS, organisation d’émigrés anticommunistes née dans l’entre-deux-guerres. Le mouvement, actif en Europe de l’Ouest, mène dans les années 1950 des opérations de propagande dirigées vers les populations soviétiques. Des études historiques et des dossiers d’archives indiquent que le NTS dispose alors de soutiens variés, parfois indirects, dans certains services occidentaux engagés dans la guerre psychologique.
Du matériel d’émission a été bricolé par des ingénieurs du mouvement et placé dans deux camions mobiles. Un mât est placé sur chacun d’entre eux et un fil d’antenne est tendu. Quatre personnes, trois hommes et une femme animent la radio qui diffuse sur les ondes courtes au plus près des longueurs d’ondes utilisées par les Soviétiques.
Des transmissions depuis l’Allemagne de l’Ouest
À partir de l’été 1951, la presse anticommuniste confirme la localisation probable de l’émetteur « quelque part en Allemagne ». On note que le poste s’interrompt parfois au milieu d’un programme pour changer immédiatement de longueur d’onde, pratique typique des stations clandestines cherchant à échapper à la triangulation et au brouillage. Les informations disponibles mentionnent l’existence de deux émetteurs mobiles, l’un des facteurs qui complexifient la localisation précise du dispositif.
Les Russes brouillent la station
Les programmes évoluent progressivement. En 1951, la station diffuse en russe et en allemand, mais les émissions en allemand disparaissent avant 1954. A la manière d’émission de Londres durant la guerre, la radio inclut régulièrement des messages personnels pour établir une communication indirecte avec des correspondants situés derrière le rideau de fer. Le brouillage soviétique, constant, implique un usage intensif de signaux continus et de porteuses destinées à masquer la voix du poste clandestin. « Véritable pirate des ondes, Radio-Russie libre n’a pas de longueur d’onde fixe, rappelle le journal suisse Curieux. Il lui arrive d’emprunter celle des émetteurs soviétiques : au milieu d’un passionnant discours sur les tracteurs socialistes, le speaker solidariste vient parfois mettre son grain de sel ; situation qui ne manque pas de piquant et surtout de manœuvre qui interdit le brouillage aux Soviétiques.«
« Radio Russie Libre, opérée par le Narodno Trudovoi Soyuz (Alliance nationale des solidaristes russes).
6350, 6424, 6787, 10714, 11550 kHz, 05h30–10h30, 12h30–15h30 (heure de l’Est). La station émet depuis des camions situés à Sprendlingen (près de Francfort), en Allemagne de l’Ouest« , souligne de spécialistes de l’écoute radio en 1964. Elle annonce une adresse postale en France au 125 bis rue Blomet, Paris 15e.
L’activité se maintient plusieurs années. Vers 1954, Radio Russie Libre atteint un volume d’environ 18 heures de diffusion par semaine, preuve d’une organisation plus soutenue et d’une infrastructure mieux stabilisée, malgré les conditions techniques hostiles. L’arrêt des émissions en allemand à cette date semble correspondre à une spécialisation totale vers un auditoire soviétique et, probablement, à une adaptation aux pressions diplomatiques exercées contre l’Allemagne de l’Ouest lorsque des émetteurs anticommunistes y opéraient. Une pression qui devient plus forte dans les années soixante-dix car la station ferme en 1974 à la demande de la RFA alors que la radio s’était sédentarisée près de Francfort.
Une radio emblématique de la Guerre froide
Radio Russie Libre incarne ainsi un modèle particulièrement représentatif des radios clandestines de la guerre froide : appels politiques radicaux, utilisation d’émetteurs mobiles, brouillage massif, ancrage dans les réseaux d’émigrés anticommunistes, possible interaction avec des services occidentaux et combinaison de propagande générale et de messages personnels. Conçue pour toucher un public soviétique soustrait à toute information libre, cette station demeure l’un des exemples les plus significatifs des tentatives d’influence radiophonique menées depuis l’Europe occidentale au début de la guerre froide.
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