Au tournant des années 1930, alors que la TSF devient l’un des divertissements majeurs, un programme singulier s’installe dans la mémoire collective : la demi-heure enfantine de Mademoiselle Phoscao. Créé pour la marque de cacao éponyme, il marque l’un des premiers exemples aboutis de programme radiophonique conçu autour d’un personnage publicitaire, devenu figure affective pour des milliers d’enfants.
Phoscao : qu’est-ce que c’est ?
Phoscao est une marque française de cacao en poudre créée à la fin du XIXᵉ siècle par un pharmacien, A. Dardanne, développée par son fils Georges et très populaire jusqu’aux années 1950. Son nom vient de la contraction de phosphate et cacao, car le produit était initialement présenté comme un aliment fortifiant, destiné aussi bien aux enfants qu’aux adultes. La marque se distingue très tôt par une recette tonique (cacao sucré mélangé à des sels minéraux), un positionnement santé, courant à l’époque pour les produits chocolatés, accompagnés d’une communication massive, notamment via affiches, boîtes métalliques illustrées, journal pour enfants et publicités radiophoniques.
La naissance d’un personnage
Phoscao, marque déjà réputée depuis la Belle Époque, sent que la radio va transformer la publicité. Au lieu d’une simple annonce lue monotone, la maison imagine une héroïne faite pour la TSF : Mademoiselle Phoscao. Elle est vive, souriante, encourageante, et surtout d’une bienveillance que seules les voix de l’époque parviennent à rendre sans surjouer.
Le personnage est incarné par une animatrice dont le nom véritable n’est pas connu. L’important n’est pas la comédienne mais la fiction rassurante qu’elle porte. Elle se présente comme une amie des enfants, une figure familière qui leur parle comme si elle s’adressait à eux seuls. Cette idée, évidente aujourd’hui, est révolutionnaire dans un univers radiophonique encore largement expérimental.
L’aventure débute en 1928 sur les postes d’État de la Tour Eiffel et de Paris-PTT. À l’antenne, une jeune femme dont le nom ne sera jamais révélé incarne Mademoiselle Phoscao. Elle est entourée d’un groupe qui fait vivre l’émission : un animateur, d’abord Henri Auxiètre, puis M. Bonat, une contrôleuse d’écoute, garante de la qualité radiophonique, deux partenaires chargés de jouer les répliques dans les sketches.
Le format est précis, millimétré, presque théâtral : ouverture, une légende, un sketch, puis deux chansons pour enfants. L’indicatif musical, immédiatement reconnaissable, est La Lettre de Manon de Gillet. Ces quelques notes suffisent à installer l’ambiance tendre et enveloppante qui deviendra la signature de l’émission.
Le passage à Radio Paris : naissance d’un phénomène
Avec le succès grandissant, le programme se retrouve aussi sur Radio Paris, alors station privée. À partir du printemps 1930, chaque samedi à 13 h 30, les jeunes auditeurs retrouvent La demi-heure de Mademoiselle Phoscao, désormais un rendez-vous régulier d’une trentaine de minutes.
Le changement d’antenne sur ce poste national amplifie la portée de l’émission. Le courrier afflue. L’audience explose. Les enfants écrivent, envoient dessins et petites histoires. On crée même le Club des petits amis de Mademoiselle Phoscao, preuve que l’univers dépasse largement la publicité pour devenir un véritable phénomène culturel.
Des voix locales dans toute la France
Face à cet engouement, Phoscao s’attaque à la province. Ainsi naissent plusieurs déclinaisons régionales, chacune avec une voix locale pour incarner Mlle Phoscao.
Un exemple figure dans la programmation de Radio Toulouse, en juin 1930, chaque jeudi à 20 h 30. La demi-heure se mêle parfois à une sélection musicale variée — accordéon, airs d’opéra comique, extraits de Roméo et Juliette — dessinant un programme plus riche que de simples historiettes enfantines.
À Paris-PTT, la case régulière reste le jeudi à 13 h 30, l’horaire traditionnel des émissions enfantines.
Mademoiselle Phoscao navigue ensuite entre de multiples antennes, de Radio-Vitus au Poste Colonial. La firme loue du temps d’antenne pour diffuser sont programme clefs en main.
Fin 1933, l’émission est chocolat
En 1933, un décret finit par interdire la publicité sur les postes d’État de la région parisienne, Radio-Paris (rachetée par l’Etat), Paris-PTT et Tour Eiffel, étendu deux ans plus tard à tous les postes publics. C’est un coup d’arrêt décisif. Parallèlement, la femme qui prêtait sa voix choisit alors de rentrer au couvent, mettant fin à l’une des incarnations les plus marquantes de la radio enfantine. L’émission, privée de son personnage et de sa raison d’être contractuelle, s’interrompt… pour un temps.
Mademoiselle Phoscao renaît au Poste Parisien
Quatre ans passent. Puis, le 28 septembre 1937, Mademoiselle Phoscao revient sur les ondes, cette fois au Poste Parisien. L’époque a changé, les enfants aussi, et l’émission adopte un format plus moderne. Deux animateurs populaires, Jaboune (Jean Nohain) et Babylas, encadrent une nouvelle Mademoiselle Phoscao âgée de 16 ans, choisie après un concours. C’est la plus jeune animatrice de radio en France et au détour d’une interview, on ne connaît que son prénom, Annette.
L’enregistrement a lieu dans les studios de Foniric, au 22 rue Bayard, qui deviendra plus tard le siège de RTL. La diffusion est programmée le jeudi soir entre 18 h 25 et 19 h, ce qui en fait une émission de début de soirée, inscrite dans un véritable rituel familial.
Phoscao s’évapore
L’élan est brisé par la guerre. Comme de nombreuses productions radiophoniques, la demi-heure de Mlle Phoscao disparaît des grilles, sans reprise après la Libération. La marque Phoscao est alors concurrencée par d’autres boissons chocolatées et finira racheté par ce qui est devenu aujourd’hui le Groupe Cémoi. Elle aura pourtant marqué près d’une décennie de présence plus ou moins continue, au croisement de la publicité, du divertissement et de la pédagogie douce.
Et si vous vous faisiez un Phoscao à la maison ?
Voici la recette du Phoscao adaptée aux ingrédients d’aujourd’hui.
Pour environ 6 portions :
• 125 g de cacao en poudre non sucré (type Van Houten ou équivalent)
• 200 g de sucre de canne blond
• 15 g de phosphate de calcium (remplaçable par une pincée de poudre de lithothamne ou un complément de calcium alimentaire)
• 125 g de farine de riz (ou crème de riz instantanée)
• 125 g de farine d’orge mondé (ou flocons d’orge mixés finement)
• 60 g de fécule de pomme de terre (ou Maïzena)
Préparation
1. Mélanger tous les ingrédients secs dans un grand bol.
2. Conserver dans un bocal hermétique à l’abri de l’humidité.
3. Pour une tasse : diluer 2 à 3 cuillères à soupe du mélange dans 250 ml de lait chaud (végétal ou animal), en fouettant pour éviter les grumeaux.
4. Laisser épaissir légèrement à feu doux, puis servir chaud.



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