Par un soir glacé de décembre 1906, bien avant que la radio ne devienne un compagnon familier, un ingénieur aurait offert au monde un cadeau inattendu : la première musique jamais diffusée sur les ondes. Une histoire fascinante mais controversée.
Un homme, un violon et une idée folle
En cette veille de Noël 1906, à Brant Rock, un petit village côtier du Massachusetts, un homme ajuste méticuleusement un émetteur expérimental. Reginald Aubrey Fessenden, ingénieur canado-américain, n’a rien d’un rêveur romantique… mais ce qu’il s’apprête à faire tient alors de la magie.
Depuis plusieurs années, Fessenden travaille sur un concept révolutionnaire : transmettre la voix humaine par radio. À l’époque, les communications sans fil se limitent aux signalements en morse. Des bip-bip destinés aux navires. Rien de semblable à de la musique, encore moins à un programme.
Et pourtant, ce 24 décembre, Fessenden saisit son violon, approche son instrument du microphone, et joue « O Holy Night », le célèbre cantique d’Adolphe Adam. Puis, posant l’archet, il lit un passage de l’Évangile selon saint Luc avant de souhaiter un Joyeux Noël aux opérateurs postés, quelque part, en mer. Voici son témoignage entier :
« Le programme de la veille de Noël était le suivant : d’abord un court discours de ma part expliquant ce que nous allions faire, puis un peu de musique sur phonographe, la musique jouée étant le Largo de Haendel. Ensuite vint un solo de violon que j’ai joué moi-même, une composition de Gounod intitulée O Holy Night, et qui se terminait par les mots “Adore and be still”, dont j’ai chanté un couplet, en plus de jouer du violon, même si, bien sûr, le chant n’était pas très bon.
Puis vint le texte biblique : “Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté”, et enfin nous avons conclu en leur souhaitant un Joyeux Noël et en annonçant que nous comptions émettre à nouveau pour le réveillon du Nouvel An.
L’émission du réveillon du Nouvel An fut identique à la précédente, si ce n’est que la musique fut changée et que j’ai demandé à quelqu’un d’autre de chanter. Je ne m’étais pas choisi pour faire le chant, mais la veille de Noël je n’avais réussi à convaincre personne d’autre de parler, chanter ou jouer et j’avais donc dû m’y résoudre moi-même. Le soir du Nouvel An, un homme, je crois que c’était Stein, accepta de chanter, et chanta effectivement, mais aucun des autres ne voulut ni chanter ni parler.
Nous avons reçu des rapports de réception du programme de la veille de Noël jusqu’à Norfolk, en Virginie, et pour celui du réveillon du Nouvel An, nous avons reçu des nouvelles de certains endroits jusque dans les Indes occidentales. »
Si l’on en croit son propre récit, ce moment serait la première véritable émission radiophonique de l’histoire.
Le choc dans les écouteurs des marins
À bord des navires naviguant au large de la côte Est, les opérateurs radio ne s’attendent à rien d’autre que des signaux hachés. Pourtant, ce soir-là, leurs écouteurs vibrent d’un étrange clarté : une musique reconnaissable, puis, miracle, une voix humaine.
Imaginez être l’un d’eux. Aucune autre voix n’a jamais traversé les ondes. Le son est nouveau, presque inquiétant, et totalement inexplicable.
On raconte que certains opérateurs auraient arraché leurs écouteurs, persuadés que leur équipement déraillait. D’autres auraient noté la “surprenante transmission”. Mais rien, dans les archives, ne donne un tableau aussi éclatant que celui que Fessenden dressera… bien des années plus tard.
Une histoire trop belle pour être vraie ?
Car c’est là que le mythe se fissure.
Le récit complet de cette soirée apparaît en 1932, soit vingt-six ans après les faits, dans un article signé par Fessenden lui-même. Les historiens grincent des dents et se posent des questions. Pourquoi aucun document contemporain, journal de bord, rapport technique, note officielle, ne décrit cette scène avec autant de détails ? L’émetteur de Fessenden était-il réellement capable, en 1906, de diffuser clairement de la musique sur plusieurs kilomètres ? Les navires, équipés de récepteurs destinés au morse, pouvaient-ils seulement décoder un signal audio continu ?
La question divise encore. Le résultat ? Une histoire plausible, mais enveloppé d’incertitudes. Beaucoup pensent que Fessenden a bel et bien diffusé quelque chose, mais probablement dans des conditions plus modestes que celles romancées plus tard.
La guerre des pionniers
Le contexte joue aussi car dans les années 1920 et 1930, les inventeurs de la radio se livrent une véritable bataille pour l’antériorité. Marconi a le prestige. De Forest revendique l’invention de la radiodiffusion.
Fessenden, longtemps sous-estimé, cherche à inscrire son nom dans l’histoire.
Revendiquer la “première émission de radio”, et un soir de Noël, qui plus est, est un geste symbolique puissant. Ce serait une manière de rappeler qu’il fut un pionnier audacieux, souvent éclipsé par d’autres figures. On ne peut écarter l’idée que le récit ait été embelli pour lui rendre justice… ou pour graver définitivement son rôle dans la mémoire collective. Mais bon, c’est vrai qu’il possède tout ce que l’on attend d’un mythe fondateur : un soir d’hiver, de la musique sacrée, un geste visionnaire et un soupçon de mystère.
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