Durant la guerre, une synthèse des rapports des préfets était rédigée chaque mois sur tous les sujets. On y trouve aussi des éléments concernant la propagande radiophonique. Au fil des rapports des préfets, une histoire précise se dessine : celle d’une radiodiffusion officielle qui tente d’occuper l’espace sonore d’un pays en guerre, mais se heurte à la défiance croissante d’un public qui cherche ailleurs ce qu’elle n’offre pas. Entre insuffisances techniques, manque de crédibilité et concurrence étrangère, la Radiodiffusion nationale (RN), voix de l’Etat français, traverse, de 1941 à 1944, une crise profonde de légitimité.
Le problème numéro un : la réception de la Radio nationale
La Radio nationale ne couvre que la zone dite libre, la zone occupée est la chasse gardée de Radio-Paris, la station en français de la propagande allemande. La radio du Gouvernement de Vichy, dont le siège est au Cecil Hôtel de la station thermale, diffuse depuis les émetteurs de Grenoble, Limoges, Lyon, Marseille, Montpellier, Nice et Toulouse (puis Paris en août 42).
Dès juin 1941, le constat tombe : les émissions françaises sont « mal entendues » dans une grande partie de la zone occupée. La BBC en profite aussitôt. L’année suivante encore, de nombreux préfets assurent qu’il est « pratiquement impossible d’écouter les nouvelles au milieu de la journée », et que les émetteurs de la zone libre restent « insuffisamment puissants ».
Face à la montée des postes adverses, les autorités locales réclament un brouillage efficace. Mais le matériel manque : seuls les Allemands peuvent le fournir. Une collaboration technique avec la Propaganda Abteilung permet certes d’augmenter le parc de brouilleurs, passés d’une vingtaine en 1941 à 94 en 1943, mais leurs effets restent limités.
1941 : méfiance massive et programmes mal adaptés
Les rapports de 1941 décrivent un public qui se détourne massivement de la radio française. Les journaux sont de moins en moins achetés, la radio « presque plus écoutée », et ses nouvelles sont vues comme « contrôlées par les autorités allemandes ».
Même les émissions de divertissement ne convainquent pas. L’un des symboles de cette inadéquation est Bonjour la France, le programme de Jean Nohain, mélange de recettes, culture physique et célébration du patrimoine. En août 1941, les préfets notent qu’il « fait sourire dédaigneusement le public quand il ne l’exaspère pas ». L’émission disparaît à l’automne.
Et puis les programmes sont saucissonnés par des émissions des différents ministères, rendant l’antenne très ennuyeuse alors que les auditeurs de la zone sud peuvent écouter des radios musicales comme celles de la Fédération française de radiodiffusion (le regroupement des radios privées, Agen, Lyon, Méditerranée, Montpellier, Nîmes, Toulouse) ou Radio Andorre (puis Radio Monte Carlo à partir de l’été 43).
Pendant ce temps, le volume des variétés dépasse celui des informations (24 heures contre 16), sans effet notable sur l’audience.
Les postes étrangers s’imposent
La BBC et ses programmes gaullistes restent « très écoutées » en 1941. Mais ils ne sont pas seuls : les journaux suisses et la radio helvétique prennent une importance croissante. L’opinion leur prête un crédit que la Radio nationale est loin d’obtenir.
En 1942, la tendance s’accentue : les informations américaines en français, objectives et dépourvues de commentaires agressifs, séduisent un public qui s’en détourne des excès de la propagande anglaise. Dans l’Est, Radio-Sottens règne. Les bulletins suisses sont jugés rapides, sincères, concis. En un mot : fiables.
À l’été 1942, d’après les préfets, un basculement discret s’opère. La radio gaulliste est « assez abandonnée » au profit du bulletin américain de 23h15, L’Amérique vous parle. Les émissions du Maroc et d’Algérie après novembre (débarquement allié en Afrique du Nord), progressent également.
Une radio officielle jugée lente, tendancieuse et monotone
Pour la Radiodiffusion nationale, les critiques reviennent avec une constance remarquable. Monotonie, manque de variété, lenteur à annoncer les nouvelles, commentaires partiaux. Le portrait est implacable.
En novembre 1941, « l’immense majorité » n’accorde « aucun crédit » à Radio-Paris. La radio de Vichy fait légèrement mieux, mais souffre de difficultés techniques et d’une suspicion persistante.
L’épisode du 27 novembre 1942 marque les esprits. Alors que la flotte de Toulon vient de se saborder, les postes d’État diffusent… de la musique gaie. Pour le préfet des Bouches-du-Rhône, ce simple fait résume la rupture entre la Radio nationale et l’opinion. Il oublie cependant de mentionner cette histoire :
1942 : de légers progrès, mais une influence toujours « très réduite »
Certains préfets reconnaissent, dès février-mars 1942, une amélioration des programmes. D’autres notent la montée de quelques émissions : Radio-Journal de France, ou encore Radio-Travail, qui vante les avantages du travail en Allemagne, la solidarité ouvriers-prisonniers, le combat contre le bolchevisme ou encore la « Relève » présentée comme un « devoir nécessaire et sacré ». Mais peut-être s’agit-il ici de flatter quelque peu les lecteurs de ces rapports préfectoraux.
Malgré ces efforts, la conclusion est répétée mois après mois : la radio française influence peu, voire pas du tout. Les auditeurs l’écoutent « par habitude », non par conviction, et lui reprochent sa discrétion sur les « grands événements intérieurs et extérieurs ».
Le tournant Henriot : une audience accrue sans adhésion
À partir d’avril 1943, les choses évoluent avec l’arrivée de Philippe Henriot. Ses allocutions attirent l’attention : elles sont suivies « avec un certain intérêt », y compris par des auditeurs hostiles.
En février 1944, presque tous les préfets constatent que les éditoriaux du ministre sont écoutés « très fidèlement » par « la grosse majorité », convaincue ou non. Une curiosité massive, mais une adhésion limitée : seuls quelques auditeurs approuvent réellement son programme.
Philippe Henriot (1889-1944) fut l’une des figures centrales de la propagande du régime de Vichy. Ancien journaliste et député de la droite catholique nationaliste, il devient, à partir de janvier 1944, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande dans le gouvernement Laval.
Orateur redoutablement efficace, il utilise la radio comme instrument politique principal. Ses éditoriaux quotidiens, diffusés depuis la Radiodiffusion nationale et Radio-Paris, attaquent la Résistance, exaltent la collaboration avec l’Allemagne et dénoncent les Alliés. Leur efficacité tient à un style simple, très direct, et à un rythme régulier qui lui vaut un large auditoire, y compris parmi des auditeurs hostiles.
Il est assassiné le 28 juin 1944 par un commando des FTP-MOI à Paris, devenant l’une des figures les plus emblématiques de la collaboration militante.
Les radios suisse et américaine gagnent la faveur du public
Du point de vue des préfets, de 1943 à 1944, deux sources dominent clairement :
Radio-Genève via l’émetteur de Sottens, dont les bulletins sont suivis avec constance ; les chroniques de René Payot, en particulier ses « exposés du vendredi », retiennent l’attention de nombreux Français, d’autant qu’après avoir compris la politique de Laval, Payot devient son critique.
Les radios américaines, dont le ton, jugé objectif et maîtrisé, contraste avec la virulence de la propagande anglaise et la rigidité des informations françaises.
1943-1944 : une radio française à bout de souffle
En 1943, les préfets notent encore la « désaffection » du public. Les nouvelles sont trop longues, trop contrôlées, ou insignifiantes. Les éléments importants de la vie nationale sont parfois ignorés. En avril, la RN est « toujours » boudée par « la masse du public ».
Même lorsqu’une confusion s’installe entre Radio-Paris et la RN, ce n’est pas au bénéfice de cette dernière. Elle hérite de la mauvaise réputation de la première. En novembre 1943, un préfet résume la situation : si la Radiodiffusion nationale n’est pas écoutée, c’est parce qu’elle manque d’objectivité… et parce qu’elle parle trop.
Aux oubliettes de l’histoire
De 1941 à 1944, la Radiodiffusion nationale tente d’imposer la voix de Vichy, mais rien n’y fait. Ni les améliorations techniques, ni les efforts éditoriaux, ni même le talent oratoire d’Henriot ne suffisent à compenser la méfiance d’un public qui cherche, avant tout, des nouvelles rapides, précises, crédibles.
Ce que la RN ne peut offrir, ou ne veut pas offrir, d’autres s’en chargent : la Suisse, l’Amérique, la BBC, ou encore les postes clandestins. Les Français, avides de vérité dans un paysage médiatique verrouillé, font alors leur choix… et l’État le constate, rapport après rapport.
La radio de Vichy a été vite oubliée. S’il reste les joutes verbales entre la BBC et Radio-Paris, la Radiodiffusion nationale a été très vite effacée. Pour preuve, le terme Radiodiffusion nationale ou Radio nationale s’est appliqué à la Radiodiffusion française après guerre. Mais le nom de Radio-Paris est resté tabou, même après la libération des ondes en 1981.



Soyez le premier à commenter