La Voix du Reich : quand la propagande nazie parlait français depuis Berlin

Au micro de l'émission L'Heure française à Berlin.

A l’arrivé au pouvoir des nazis, Radio Stuttgart, comme toutes les stations régionales allemandes, se voit assigner une nouvelle mission : instruire le peuple selon la vision du régime et préparer les esprits à la guerre. Les concerts et les lectures cèdent la place à des discours enflammés sur la « grandeur de la nation », les nouvelles politiques raciales, et la glorification du Führer. Les émissions en langues étrangères se multiplient, car l’Allemagne cherche à influencer et à séduire les oreilles étrangères. Radio Stuttgart relaie le studio de Berlin qui diffuse désormais des messages destinés aux francophones et tout particulièrement aux Français : informations distordues, appels à la désunion, propagande douce ou brutale selon les besoins, personnifiée par Paul Ferdonnet, dit « le traître de Stuttgart ». Elle dispose d’un puissant émetteur à Mühlacker (100 kw) sur 522,6 m (574 kc).

Les émissions se multiplient à la déclaration de guerre

A la déclaration de guerre en 1939, les émissions antifrançaises se multiplient. En novembre, elles ont lieu à 12h40, 14h30, 17h30, 19h, 21h10 via Stuttgart mais aussi Sarrebruck et Francfort. A 22h45 et 00h15 seul Stuttgart les diffuse. En janvier, cela s’amplifie. Cinq émetteurs de la Radiodiffusion du Reich (RRG) diffusent en français (Stuttgart, Cologne, Leipzig, Francfort et Sarrebrück) à 13h45, 15h15, 18h15, 21h15, 22h15, 23h15, 0h15 et 1h15.

Puis le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la France. Après l’armistice du 22 juin, les radios françaises encore sur les ondes cessent d’émettre selon l’article 14 de la convention d’armistice. Les Allemands peuvent réorganiser la radio dans la zone occupée. Ils créent une radio en français sous leur contrôle, Radio Paris dans les locaux du Poste Parisien. La Radiodiffusion du Reich (Reichs-Rundfunk) peut diminuer le volume de ses émissions en français. Ainsi, elles se réduisent à des infos à 18h30 quelquefois relayées par Sarrebrück ou Luxembourg.

Ci-dessus, la réunion de rédaction de La Voix du Reich.

Bien sûr, la ligne éditoriale change : « la radio allemande a complètement transformé ses émissions pour la France, exactement depuis octobre 1940, depuis la rencontre de Montoire entre le Führer et le chef de l’État français, le maréchal Pétain, où les relations franco-allemandes sont entrées dans une nouvelle voieLes émissions françaises de la radio allemande ont été adaptées à cet esprit nouveau, » souligne le magazine nazi Signal.

A la fin de 1941, les émissions en langue française ont lieu tous les jours, sauf le dimanche de 18h30 à 18h45 via Stuttgart, 522,6m (574 kc) et Berlin 41,27m (7270 kc); de 19h30 à 19h45 via Stuttgart et Berlin
19,53m (15360 kc.) et enfin de 20h15 à 20h30 via Luxembourg 1290m (332 kc)

Les émissions en français prennent le nom de Voix du Reich

A partir de l’été 1942, la propagande allemande densifie et réorganise les émissions francophones sous le nom de La Voix du Reich. Dans les pays occupés d’Europe, cette propagande est regroupée depuis l’année précédente dans le Deutsche Europasender qui diffuse en une quarantaine de langues.

Dès le 6 juillet 1942, le programme s’annonce comme suit : le journal parlé de 19h30 à 19h45 sur 522.6m (Stuttgart) et 19,53 m. L’Heure française de 21 à 22 heures sur 279m, 281m, 322m et 432m. Puis d’autres quarts d’heure d’infos sont rajoutés pour aboutir à deux heures de programmes quotidiens. A cela s’ajoutent des infos pour l’Afrique et le Canada.

« La Voix du Reich a pour mission de faire connaître à la France sa voisine de l’est sous son vrai jour et d’établir ainsi les bases d’une compréhension durable. C’est durant l’été de l’année dernière (NDLR 1942) qu’a été créée l‘Heure française, transmise tous les soirs, de 18 à 19 heures, détaille Signal. Cette heure est particulièrement consacrée à faire connaître les valeurs culturelles. On peut entendre souvent l’orchestre philharmonique de Berlin et celui de Vienne, des chanteurs et des chanteuses en renom, des enregistrements ou des émissions directes de musique variée; des chœurs diffusent les chants populaires de l’Allemagne. Ici, la Voix du Reich… Quel est le Français qui n’a pas entendu cet appel venant de Berlin, porté par les ondes ? Qui na pas écouté les messages des prisonniers à leurs familles? » C’est en effet pour les Français, le seul intérêt d’écouter les programmes de Berlin. La radio propose en effet des messages des prisonniers mais aussi des travailleurs qui sont en Allemagne dans le cadre du STO, le très impopulaire Service du Travail Obligatoire. Et entre deux chroniques pour les familles, hop, un gros coup de propagande. Un grand classique…

Ci-dessus, la préparation du bulletin d’informations.

« La radio allemande offre, chaque jour, en langue française les émissions suivantes : 6h45. Informations. 11h45. Revue de la presse du matin. 15h45. La guerre militaire et économique. Ces émissions se font sur les longueurs d’onde de 279 (Bordeaux 60 kw), 281 (Paris), 322 (Bordeaux) et 432 (Rennes 120kw), ainsi que l’ Heure française, de 18 à 19 heures. À 17 heures, on transmet le journal radiophonique et les commentaires politiques sur 25,24m et 31,51 m. A 19 heures, sur 48,86 m, on transmet la chronique du soir et, en même temps, sur 1339 m., une émission pour les combattants français du front de l’est ou pour les prisonniers. A 22h45, on transmet les nouvelles du soir soir sur 48,86 m, et enfin, à une heure du matin, le journal radiophonique sur 41,43 m. Toutes ces émissions s’adressent aux auditeurs de langue française d Europe, d’Afrique et du Canada. Elles contribuent à développer et à approfondir la compréhension mutuelle des Allemands et des Français.« 

Au cours de la guerre, les ondes utilisées fluctuent selon les besoins. La Voix du Reich est surtout diffusée en France via les émetteurs de Paris, Bordeaux et Rennes. Après l’invasion de la zone sud (dite zone libre), Marseille est également mis à contribution.

Un important changement a lieu à la mi-mars 1944. La Voix du Reich est désormais entendue uniquement que l’émetteur grandes ondes d’Allouis, 1648m (182kc). Et ce, jusqu’à la Libération.

Qui animait La Voix du Reich ?

Pour le savoir, il faut se plonger dans la presse durant l’épuration.

Robert Marcot était speaker en chef à Radio Paris puis est allé lire les infos à Berlin (condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1944.

Charles Simonin a travaillé pour des journaux collaborationnistes et à Radio Paris avant de se retrouver à Berlin à La Voix du Reich. Début 1946, il est condamné à cinq ans de travaux forcés et à la dégradation nationale.

Maurice Bollaigue dit “Maubois”, artiste dramatique est accusé d’avoir donné à Radio-Paris une quarantaine d émissions tendancieuses. Peu après il partait pour Stuttgart et donnait à “la voix du Reich” des lectures dialoguées. La Cour l’a condamné à 5 ans de prison, 12.000 francs d’amende et à la dégradation nationale.

Marie-Caroline Lala (photo ci-contre), née en 1901, a été 1943 à 1944 agente de l’Abwehr (les services secrets allemands). A partir de février 1944, elle a rejoint La Voix du Reich. Elle a été particulièrement accusée d’avoir dénoncé Me Gaston Python, avocat à la Cour, qui fut arrêté par les Allemands au mois de juin 1943 et libéré au mois d’octobre de la même année, quelques jours avant de mourir des privations et des sévices qu’il avait endurés. Elle a été condamné en 1949 à cinq ans de travaux forcés.

Le représentant de commerce René Poirot, âgé de 47 ans, originaire d’Epinal, ancien speaker, de Radio Alger, avait été envoyé en Allemagne par le STO et réussit en 1943 à se faire affecter à la radio allemande, où il fut plus spécialement employé comme commentateur des émissions la Demi-Heure africaine et l’Heure française à « La Voix du Reich ». Il a été condamné en 1951 à quatre ans de prison avec sursis et à la confiscation totale de ses biens.

La fin de l’émetteur de Stuttgart

Le 7 avril 1945, les tirailleurs marocains de la 1ère armée française franchissent la rivière Enz et s’emparent du site d’émission de Muhlacker à 20 km de Stuttgart. La veille, les Allemands ont détruit ce qu’ils pouvaient. « Le sabotage a été fait à la hâte et par des gens qui avaient sans doute reçu des instructions précises ou qui avaient quand même quelques notions techniques, mais qui ont agi dans l’ensemble, d’une façon assez anarchique et assez rudimentaire, peut-on lire dans Radio 45.

C’est ainsi que. Dieu merci, les circuits électriques sont toujours en état ainsi que deux gros condensateurs. Le reste a été saboté par des moyens de fortune, et avec quelques oublis dont certains sont heureux. C’est à coup de marteau ou par balles de fusil ou de pistolet qu’a été brisé dans les deux grands émetteurs que comportait la station, un en ondes moyennes et un en grandes ondes, tout ce qui était verre ou porcelaine, et tordu tout ce qui était cuivre. Les induits de dynamos géantes ont également été martelés.« 

C’est aussi de Muhlacker qu’était diffusée depuis octobre 1944 Radio Patrie, la radio des collabos en déroute à l’abri au bord du lac de Constance et Ici, la France, la station des pétainistes réfugiés à Sigmaringen.

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