Août 1958 : Radio Mercur, un navire-émetteur fait chavirer la radio au Danemark

La pionnière des radios pirates offshores

Radio Mercur, souvent considérée comme la première radio pirate offshore, a marqué un tournant dans l’histoire de la radiodiffusion en Europe. Lancée le 2 août 1958, cette station danoise a brisé le monopole des radiodiffuseurs d’État, défiant les conventions et ouvrant la voie à une nouvelle ère de liberté radiophonique.

L’idée de deux cousins

Dans les années 1950, la radio danoise est dominée par la Statsradiofonien (future Danmarks Radio), la radio nationale, qui ne consacre qu’une heure par jour à la musique populaire, loin des rythmes swing et rock’n’roll que la jeunesse scandinave réclame. Frustrés par cette programmation conservatrice, deux cousins, Peer Jansen, un jeune employé de bureau de 27 ans, et Børge Agerskov, étudiant en droit, décident de défier ce monopole. Leur inspiration ? L’USCGC Courier, un cargo que les Américains ont positionné près de l’île de Rhodes en Grèce pour y diffuser La Voix de l’Amérique.

Une faille juridique

Agerskov découvre une faille juridique : les émissions radio depuis les eaux internationales ne sont pas réglementées par les lois nationales danoises. Avec le soutien financier d’Ib Fogh (photo ci-contre), un riche investisseur, ils imaginent une station financée par la publicité, diffusant de la musique pop et rock depuis un bateau ancré dans les eaux internationales de l’Øresund, entre le Danemark et la Suède. Une société est créée au Liechtenstein. Ce projet audacieux donne naissance à Radio Mercur.

La révolution sur les ondes

Après quelques essais en juiller, le 2 août 1958, à 18 heures, Radio Mercur commence ses émissions régulières depuis le navire Cheeta Mercur, ancré dans l’Øresund, le détroit entre le Danemark et la Suède et battant le pavillon du Panama. Ce bateau, autrefois nommé The Flying Englishman, devient le symbole d’une rébellion radiophonique. La station diffuse sur la bande FM, d’abord sur 88,00 MHz, puis sur d’autres fréquences pour contourner les plaintes des autorités danoises. Le succès de la station entraîne rapidement un accroissement des ventes de récepteurs FM. Les programmes, mélange de musique populaire, de publicités, de revues, de théâtre et même de nouvelles, contrastent avec la rigidité de la radio d’État.

Le Cheetah Mercur.

Les enregistrements sont réalisés dans des studios à Copenhague, sur Maltegårdsvej puis Adolfsvej à Gentofte, et les bandes sont acheminées par bateau jusqu’au Cheeta Mercur pour être diffusées. Cette organisation permet à Radio Mercur de contourner les restrictions terrestres tout en offrant une programmation dynamique qui séduit rapidement les auditeurs danois et du sud de la Suède.

Radio Mercur se développe

Gita Miler, une des animatrices.

Le succès de Radio Mercur attire l’attention. En décembre 1958, une station suédoise, Skånes Radio Mercur (plus tard Radio Syd), commence à émettre depuis le même navire, ciblant la province suédoise de Skåne. Dirigée par Nils-Eric Svensson, elle s’inspire directement de Mercur. En février 1961, un second navire, Cheeta II, est déployé dans le Storebælt pour couvrir davantage de territoire danois. Il est plus confortable et permet des émissions en direct. Radio Mercur expérimente même des émissions stéréo en avril 1961, une prouesse technique pour l’époque, en utilisant deux fréquences simultanées (88,0 MHz pour le canal gauche, 89,5 MHz pour le droit).

Le Cheetah II
Des techniciens de Radio Mercur.

Cependant, ce succès attire aussi l’hostilité des autorités. La presse danoise commence à qualifier Radio Mercur de « radio pirate », un terme repris dans des caricatures montrant la station avec des symboles de piraterie. La radio fait des émules. En septembre 1961, une station concurrente, Danmarks Commercielle Radio (DCR), émet depuis le navire Lucky Star. Mais les deux stations fusionnent en janvier 1962 sous le nom de Radio Mercur.

Le Danemark légifère et réprime

Le succès de Radio Mercur et des autres stations offshore suédoises inquiète les gouvernements scandinaves. En février 1962, le Conseil nordique, l’organisme intergouvernemental scandinave, recommande une action concertée pour mettre fin à ces radios pirates. Le 14 juin 1962, le Danemark adopte la « Lex Mercur », une loi interdisant toute participation à des activités de radiodiffusion offshore, y compris la production, la publicité ou l’approvisionnement des navires. Des lois similaires sont votées en Suède, en Norvège et en Finlande, entrant en vigueur le 31 juillet 1962.

Radio Mercur fait ses adieux

Radio Mercur cesse ses émissions le 31 juillet 1962, avec une dernière diffusion (écouter ci-dessous) empreinte de nostalgie, incluant des extraits de programmes passés et des messages d’adieu. La chanson finale est Admiralens Vise par Jørgen Reenberg, tirée de l’opérette HMS Pinafore.

Le Cheeta II est vendu à Radio Syd, tandis que le Lucky Star tente de reprendre les émissions du 13 au 15 août 1962, utilisant d’anciennes bandes enregistrées. Cette tentative défie la nouvelle loi, mais le 15 août, la police danoise arraisonne le Lucky Star dans les eaux internationales, saisissant le navire et mettant fin aux transmissions. Une bataille juridique s’ensuit, les autorités danoises étant accusées d’avoir agi illégalement en arraisonnant un navire sous pavillon étranger, mais il s’avère que le pavillon libanais du Lucky Star était frauduleux.

L’héritage de Radio Mercur

Malgré sa courte existence, Radio Mercur a un fort impact. Elle inspire des stations comme Radio Veronica aux Pays-Bas, Radio Nord en Suède et Radio Caroline au Royaume-Uni, qui reprennent le modèle de la radio offshore pour diffuser de la musique pop et défier les monopoles d’État. En 1963, la radio publique danoise, Danmarks Radio, lance un nouveau programme, Melody Radio (futur Programme 3), qui s’inspire directement du style de Radio Mercur et engage même d’anciens employés de la station pirate.

Radio Mercur renaît sous d’autres formes dans les années suivantes : à Majorque de 1969 à 1970, sur la Costa del Sol espagnole de 1982 à 1984, et comme station locale à Copenhague de 1987 à 1994.

En 2017, son histoire est adaptée dans une série télévisée danoise, Mercur, réalisée par Adam Price et Morten Fisker, qui retrace cette aventure à travers des personnages fictifs.

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