
A la fin des années cinquante et au début des années soixante, les radios pirates commerciales se développent au large des côtes de la mer du Nord et de la Baltique en utilisant des navires-émetteurs ancrés hors des eaux territoriales pour échapper aux monopoles d’état.
Au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas puis au Royaume-Uni, certains aimeraient dupliquer cette idée de contourner le monopole des ondes à la télévision. Ainsi, en 1960, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel présente le projet d’un publicitaire.
« La Swedish Commercial Television Co., avait déjà conclu un contrat avec une compagnie aérienne privée allemande pour des avions Convair 240. L’un devait être équipé de deux émetteurs de 10 kilowatts et d’une antenne spéciale, couvrant à 7 000 mètres d’altitude le sud de la Suède, le sud de la Norvège et le Danemark. Un second avion, au-dessus de la Baltique, devait relayer le programme vers le nord de la Suède et la Finlande. Un troisième devait servir à rapporter d’Angleterre, d’Allemagne ou d’autres pays européens des films récents à diffuser. » Un projet qui n’eut pas de suite.

Le projet de Television Caroline
Il faut attendre 1970 pour voir un nouveau projet se dessiner. Les législations se sont renforcées en Europe de l’ouest et les temps sont plus difficiles pour les radios offshores. Le patron de Radio Caroline rend public son intention de lancer Television Caroline. O’Rahilly affirme alors avoir acquis deux avions Lockheed Super Constellation pour diffuser les programmes depuis les airs, survolant la mer du Nord.
Ces avions devaient rester en vol pendant environ huit heures à la fois, relayant des émissions produites à l’étranger (principalement des États-Unis) pour éviter les restrictions légales britanniques. Il prétend également avoir déjà sécurisé 600 000 dollars (environ 4 millions de dollars actuels, ajustés à l’inflation) en contrats publicitaires de sociétés étrangères commercialisant des produits au Royaume-Uni.
Ce projet séduisant se heurte cependant à de gros problèmes techniques et financiers. La diffusion d’un signal UHF puissant depuis un avion nécessite une énergie conséquente, difficile à générer en vol, et les équipements de l’époque (magnétoscopes, émetteurs, antennes) sont lourds et peu adaptés aux turbulences aériennes. De plus, les coûts de production et d’acquisition de programmes télévisés sont bien plus élevés que pour la radio, rendant le modèle économique fragile, même avec des revenus publicitaires.
D’où vient l’idée d’émettre depuis des avions en vol ?
L’idée de la stratovision, c’est à dire d’émettre depuis des avions en vol, est née en décembre 1944 dans l’esprit de Charles E. Nobles, un ingénieur spécialisé dans les radars au sein de la compagnie Westinghouse. À cette époque, la télévision est toute jeune et les signaux VHF et UHF ne peuvent couvrir que des zones restreintes sans relais multiples.
Nobles propose alors d’utiliser des avions stratosphériques, volant à environ 9 000 mètres d’altitude, pour relayer les signaux, couvrant ainsi un rayon de 300 à 500 km par appareil.
En 1945, la Glenn L. Martin Company, un constructeur aéronautique, s’associe à Westinghouse pour développer le concept. L’objectif est de créer un réseau national de diffusion TV et FM en utilisant seulement huit avions positionnés stratégiquement au-dessus de villes comme New York, Pittsburgh, Chicago, Kansas City, Curtis (Nebraska), Leadville (Colorado), Portland et Los Angeles. Cette approche promet une couverture de 78 % de la population américaine avec un coût inférieur à celui d’un réseau terrestre équivalent.
Des premiers tests en 1948
Les premiers tests de la stratovision ont lieu en 1948, marquant une étape importante dans l’histoire de la télévision. Le 24 mai 1948, un vol de démonstration retransmet un programme CBS à des centaines de kilomètres. Le 23 juin, lors des phases initiales d’essais, le système est utilisé pour relayer la Convention nationale républicaine depuis Philadelphie, diffusant les images en direct à des régions éloignées. Ces expériences démontrent la viabilité technique de la stratovision : un avion équipé d’émetteurs peut recevoir un signal terrestre, l’amplifier et le rediffuser sur une large zone, évitant les interférences dues à la courbure de la Terre.
Cependant, des défis apparaissent rapidement. Les avions doivent voler en cercles constants pour maintenir leur position, nécessitant des rotations fréquentes pour le ravitaillement et la maintenance. De plus, le régulateur des ondes, la Federal Communications Commission (FCC), impose des restrictions : la stratovision est interdite pour les diffusions commerciales, limitant son potentiel économique.
Un test entre le sud de la France et Alger
En France, la stratovision n’est alors pas à l’ordre du jour, mais les expériences américaines ont stimulé l’imagination de certains journaux comme le journal Radar : « On a calculé qu’un seul avion suffirait
pour la France. Son « manège de transmission » devrait avoir lieu dans le ciel du département du Cher. »
Mais la stratovision revient dans l’air du temps à la fin des années cinquante. En 1958, la première liaison télévisée transméditerranéenne est réalisée entre la métropole et l’Algérie. « Un avion SO Bretagne du centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge (Seine-et-Oise), équipé spécialement d’un émetteur-récepteur TV, tournait à une altitude de 6000 mètres au-dessus des îles Baléares et recevant le signal d’Alger, le retransmettait amplifié vers la France où il était reçu en deux points : le pic de Nore, dans la Montagne Noire, nous détaille le magazine de la Marine nationale Cols Bleus.
Le pic de Nore est haut de 1.210 mètres et la montagne s’étend sur les parties limitrophes de l’Aude, l’Hérault et le Tarn. Le second point de réception était voisin de Marseille. De l’un et de l’autre de ces deux premiers relais terrestres, l’émission était acheminée vers Paris par le pic du Midi pour une voie et par Lyon pour la seconde. La réception fut possible, non seulement en France, mais encore en Belgique et en Angleterre.«
La stratovision au service de l’éducation
L’un des projets les plus ambitieux est le Midwest Program on Airborne Television Instruction (MPATI), lancé dans les années 1960. Financé par la Ford Foundation et impliquant Westinghouse, ce programme a utilisé des avions DC-6 modifiés pour diffuser des cours éducatifs à des écoles dans six états du Midwest (Indiana, Illinois, Kentucky, Michigan, Ohio et Wisconsin).
Deux avions basés sur l’aéroport de la Purdue University volaient quotidiennement, couvrant jusqu’à 150 000 miles carrés et atteignant des millions d’élèves. Le MPATI opéra de 1961 à 1968, produisant plus de 2 000 leçons télévisées sur des sujets variés, de la science à l’histoire. Bien que novateur, il est abandonné en raison des coûts élevés engendrés et de l’essor des satellites.
La stratovision au service de la propagande
Durant la Guerre du Vietnam, la stratovision est adaptée pour des opérations de propagande. Des avions EC-121 de l’US Air Force, équipés d’émetteurs, diffusaient des programmes télévisés pro-américains au-dessus du Vietnam du Sud, étendant la portée des stations terrestres limitées par le terrain montagneux. Les émissions incluent messages militaires, bulletins d’information, mais aussi divertissements (musique, sport, shows télévisés américains) destinés à maintenir le moral des soldats. Ce projet, parfois appelé Blue Eagle, illustre l’utilisation militaire de la technologie pour influencer l’opinion publique.
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