Fin 1963, aux Pays-Bas, l’ennui télévisuel est palpable. Face au monopole rigide du système public, un groupe d’hommes d’affaires a un rêve un peu fou : construire une plateforme pétrolière pour y installer une télévision commerciale.
L’idée de contourner la loi en diffusant depuis les eaux internationales n’était pas nouvelle (Radio Veronica le faisait déjà avec un navire). Mais l’équipe derrière la Reklame Exploitatie Maatschappij (REM) visait plus haut : la télévision. Cette entreprise inédite est fondée par l’entrepreneur I. P. Heerema et le constructeur naval de Rotterdam Cor Verolme, épaulés par Joseph Brandel et M. Minderop.
Leur objectif principal ? Fournir un service de télévision commerciale stable et puissant. Cor Verolme, fort de son expérience dans l’industrie pétrolière offshore, conçoit une structure unique : une plateforme artificielle s’inspirant directement des modèles utilisés au Vénezuela. Elle est fabriquée en sections préfabriquées dans un chantier naval à Cork, en Irlande.
Après le transport des sections, l’assemblage de l’Île REM est finalisé dans la nuit du 4 au 5 juin 1964. Rapidement, le géant américain des communications RCA y installe l’équipement de diffusion.
Un succès immédiat
Durant l’été, techniciens et employés s’affairent sur la plateforme dominée par un mât d’antenne de 90 mètres et placée à l’extérieur des eaux territoriales bataves (4800m). Ils installent antennes, caméras, émetteurs UHF, studios improvisés dans des pièces étroites.
Les transmissions tests de la radio débutent le 19 juillet 1964. Le 23 juillet, Radio Noordzee commence ses programmes réguliers en néerlandais. Les tests de TV Noordzee démarrent le 12 août, et la chaîne lance officiellement ses programmes réguliers le 1er septembre 1964. Grâce à son émetteur puissant, la chaîne offre un divertissement plus excitant que l’austère NTS, remportant immédiatement l’adhésion de millions de foyers et des annonceurs.
Le Gouvernement trouve une parade légale
Le gouvernement néerlandais, qui avait toléré les stations radio basées sur des navires (comme Radio Veronica depuis 1960), voit l’Île REM comme une menace bien plus grave. Cette base fixe et puissante, capable de toucher des millions de foyers, suscite la crainte qu’une telle installation ne soit un jour utilisée à des fins de propagande politique. Dès le 16 septembre 1964, le Parlement commence à discuter de la situation. Le gouvernement met en place une stratégie particulière basée sur la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental.
Cette convention permettait aux États côtiers d’exercer une souveraineté sur les structures reposant sur leur plateau continental sous-marin, même en dehors des eaux territoriales. Pour se protéger, les propriétaires de la REM transfèrent la propriété de l’Île à une société panaméenne et les droits de diffusion à une société britannique. Ces manœuvres sont vaines. La législation visant spécifiquement les structures permanentes est adoptée le 1er décembre 1964 et devient loi douze jours plus tard. Cette nouvelle loi, dite Loi REM, ne s’applique pas à Radio Veronica (station basée sur un navire), mais est conçue pour fermer TV Noordzee.
L’intervention militaire
TV Noordzee cesse d’émettre le 14 décembre 1964. Mais Radio Noordzee continue de défier la loi. Les autorités néerlandaises décident d’agir.

La chronique de l’assaut final
| Heure | Événement | Détails |
| 8 h 55 | L’arrivée de la Marine | Le navire néerlandais, le Delftshaven, prend position à 200 mètres de la plateforme. |
| 9 h 00 | Le ballet d’hélicoptères | Trois hélicoptères surgissent et se mettent en position au-dessus de la plateforme. |
| 9 h 01 | L’illumination | L’un des hélicoptères lance une fusée éclairante sur la piste d’atterrissage pour marquer la zone. |
| 9 h 03 | L’assaut | Deux hélicoptères déposent rapidement une force de policiers armés sur l’Île artificielle. |
| 9 h 07 | Le silence | Les autorités coupent brutalement les transmissions de Radio Noordzee. Le dernier disque diffusé étant Paradiso d’Anneke Gronloh. |
| 9 h 10 | La prise de contrôle | Le Delftshaven envoie une chaloupe à bord. Des fonctionnaires, dont un magistrat d’Amsterdam, montent pour légaliser l’opération. |

De TV Noordzee à TROS
Bien que l’Île REM ait été confisquée par le gouvernement néerlandais, l’histoire ne s’arrête pas là. Les actifs et l’esprit d’entreprise de la REM sont rapidement transférés à une nouvelle organisation : la Televisie en Radio Omroep Stichting (TROS). Formée par certains des initiateurs du projet REM, la TROS postule et obtient une licence temporaire légale, dans l’espoir de bénéficier de la révision promise du paysage audiovisuel néerlandais.
L’échec de TV Noordzee en 1964 est donc, paradoxalement, le succès de la TROS, qui allait devenir un acteur majeur et légal du paysage médiatique néerlandais. L’île pirate a disparu, mais elle a ouvert la porte à la télévision commercial aux Pays-Bas. Et TROS est toujours sur les ondes.
Après avoir été abandonnée en mer pendant des décennies, la plateforme a été démantelée et remorquée jusqu’à Amsterdam en 2006. Elle a été transformée et rouverte en 2011 en un restaurant unique original (mais pas donné !), REM Amsterdam, offrant une vue panoramique et servant en quelque sorte de mémorial à cette aventure médiatique.
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