Comment les radios périphériques américaines pulvérisaient la frontière

XER radio

Le terme « radio périphérique » est beaucoup moins utilisé de nos jours. A l’époque du monopole de la radio, il différenciait en France les radios privées des radios publiques. Car pour contourner ce monopole, les radios privées avaient leur studio en France mais leur émetteur à l’étranger : RTL au Luxembourg, Europe 1 en Allemagne, Radio Monte-Carlo à Monaco, Sud Radio et Radio Andorre en Andorre, Radio Océan et Radio Atlantic en Espagne. Emettre chez le voisin pour arroser son propre pays, l’idée n’est pas neuve. Aux Etats-Unis, des radios ont émis depuis le Mexique en braquant leurs antennes vers le Nord. C’est ce qu’on appelle les Borders Blasters, car ces radios pulvérisaient la frontière à coup de puissance gigantesque. La plus célèbre reste celle que l’on peut voir dans le film American Graffiti et où officie au début des années soixante l’animateur Wolfman Jack.

Les charlatans sur les ondes

Mais ces périphériques américano-mexicaines ont été sur les ondes bien plus tôt. Remontons en 1930. Les autorités américaines interdisent les nombreuses émissions de charlatans qui donnent leurs conseils à l’antenne contre l’envoi d’argent. Deux Texans ont l’idée d’émettre de l’autre côté du Rio Grande.

XED
Le studio de XED.

La législation radiophonique est alors plus souple au Mexique et il n’existe aucun accord sur la répartition des fréquences entre les deux pays. Le construction de studios de part et d’autre de la frontière et l’installation du centre émetteur à Reynosa, juste derrière le pont qui enjambe la frontière et le Rio Grande, débute en été 1930. Le 9 novembre suivant, XED, la Voix des deux républiques, fait ses premiers pas sur les ondes. Les fréquences des radios américaines sont des comptes ronds séparées de 10 khz. XED s’installe sur 965 khz avec une puissance colossale pour l’époque. Il n’y a donc rien pour stopper sa diffusion sur la quasi totalité des USA et une partie du Canada. A l’antenne, les programmes animés par de pseudo guérisseurs, voyants ou psychologues à quatre sous se succèdent. Puis, la radio se lance dans les loteries toute la journée. Très lucrative, cette idée vaudra quelques temps plus tard de la prison à son promoteur. Et en 1932, XED reviendra sur les ondes sous le nom de XEAW.

L’antenne de XEAW.

Un docteur très controversé

Mais à l’été 1931, un certain John Brinkley s’installe à Del Rio. Ce docteur vient de perdre l’autorisation de sa radio dans le Kansas qui lui servait avant tout à faire la promotion de sa clinique très controversée par le milieu médical. Il promettait en effet de combattre l’infertilité masculine en greffant des glandes de chèvres ! Ce chirurgien fait installer un émetteur de 50 kw (il passera à 200 kw en 1932) de l’autre côté du fleuve frontière à Villa Aruna (aujourd’hui Ciudad Aruna). Le 13 octobre 1931, XER, « la radio ensoleillée entre les deux nations » inaugure ses programmes qui sont diffusés à l’instar de XED sur une fréquence dégagée, 735 khz. Le docteur ne tarde pas  à revenir dans le Kansas et installe un studio dans sa maison de Milford relié au Mexique par téléphone. Parallèlement, il investit dans une autre station à Piedras Negras. XEPN diffuse avec 100 kw sur 885 khz avec à l’antenne le même type d’émission attrape-gogos.

Mais un nouvel entrepreneur tout aussi douteux, fait construire un centre émetteur de 150 kw à Nuevo Laredo. Il s’agit de Norman Baker qui possède une clinique dans l’Iowa et qui prétend guérir les cancers. Sa radio locale a été interdite par les autorités alors, à l’instar de John Brinkley, il a demandé une autorisation au gouvernement mexicain. XENT diffuse depuis Reynosa avec une puissance moindre que ses consoeurs (qui progressivement multiplieront leur puissance) mais sa situation et son système d’antennes compensent cet handicap.

Les autorités serrent la vis

Des deux côtés de la frontières, les autorités serrent la vis. Les Américains interdisent les liaisons téléphoniques entre les studios aux USA et les émetteurs mexicains. Le Mexique de son côté bannit les pseudo-émissions médicales et exige que les programmes soient d’abord diffusés en espagnol.

XEAW
L’émetteur de XEAW.

Un accord sur les fréquences avec les Etats-Unis, les oblige à migrer sur de nouvelles longueurs d’ondes moins intéressantes pour leur propagation. Les contraintes sont beaucoup plus fortes sur ces périphériques ultra puissantes. John Brinkley imagine un temps replier ses stations vers Cuba ou Haïti, voir même à les installer sur son yacht personnel. Les radios cherchent des stratagèmes pour tenter de contourner ces nouvelles difficultés mais les autorités mexicaines les mettent à l’amende. Si XEAW s’exécute, ce n’est pas le cas de XER qui, une nuit en février 1934, est fermée manu militari. La station reviendra sur les ondes sous le nom de XERA en septembre 1935 (elle sera interdite à partir de 1941).

Et aujourd’hui ?

Ces « border blasters » auront permis dans les années trente de populariser la musique country, un style de musique qui reste aujourd’hui numéro un sur les ondes américaines. Et ces radios périphériques existent encore. Notamment XEPRS (ex XERB où officiait Wolfman Jack) devenue The Mighty 1090, la radio sports de San Diego, ou XEG (La Ranchera de Monterrey) qui est spécialisée en musique traditionnelle ranchera.

 

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